Juif
arabe ou Juif parlant arabe?
Je suis juif.
Je suis un juif né dans un pays musulman.
Je suis un juif dont les
racines plongent, depuis plus de deux millénaires dans ce qui est appelé,
aujourd’hui, terre d’islam.
Comme près d’un million de mes coreligionnaires
depuis 1948, j’ai perdu mon ancrage. Comme près d’un million de juifs chassés ou
obligés de fuir, j’ai dû abandonner mon chez moi, ma terre natale, mes racines,
mes lieux de culte sanctifiés par les siècles. J’ai dû abandonner mes
morts.
Je suis certes un juif oriental et non, ainsi que certains
me qualifient à tort, un juif arabe car il n’y a pas de juifs arabes et qui
prétend le contraire, commet une double erreur, historique et culturelle.
Il n’y a pas de juifs arabes car ceux qui habitaient la péninsule
arabique ont été massacrés ou chassés par Mahomet au septième siècle.
S’il n’y a pas de juifs arabes, il y a, par contre, des juifs que rien
ne distinguait, jusque dans un passé récent, des musulmans.
S’il n’y a pas
de juifs arabes, il y a des juifs dont l’arabe fut la langue maternelle qui
parlent et calligraphient toujours, encore, cette langue.
Les écrivains, les
artistes, les intellectuels qui s’affirment juifs arabes méconnaissant leur
histoire et leur passé.
Si nous sommes des juifs nés dans des pays dits
arabo-musulmans et qui parlons arabe, cela ne fait pas de nous automatiquement
des Juifs arabes. Naître dans un pays dit arabe ne fait nullement des Coptes,
des Syriaques, des Maronites, des Druzes, des Kurdes, des Assyriens, des
Chaldéens, des Nestoriens et des Berbères. Précisons que l’Amazigh – au pluriel
Imazighen – est la dénomination générale que les Berbères se donnent. Elle
englobe les Kabyles, les Rifains, les Touareg etc… Nous utiliserons
indifféremment les deux termes.
Dans la culture juive, la femme est
l’égale de l’homme lorsqu’elle n’est pas placée sur un piédestal : l’hymne
echet haïl, éloge de la femme vertueuse, que l’époux récite à son épouse
le vendredi soir, au retour de la synagogue, en est l’exemple le plus frappant.
Rabbi Yéhouda, un des Sages qui a contribué à l’élaboration du Talmud, dans la
première Michna du Traité Yoma, 2a assimile la femme à la maison. Il interprète
le verset 16:11 du Lévitique (verset qui concerne le service du Grand Prêtre le
jour de Yom Kippour) : «Il fera l’expiation pour lui et pour sa maison»,
la maison étant selon lui sa femme.
Comme l’affirme le Talmud (traité Baba
Metsia, 59a),«L’homme fera toujours attention au respect de sa femme, car
elle est source de la beraha, de la bénédiction, dans sa maison». Et si la
prière matinale de l’homme comporte le remerciement à son Créateur de ne l’avoir
pas fait naître femme, c’est que celle-ci est dispensée des commandements qui
imposent un horaire, telles la prière quotidienne ou l’étude de la Torah alors
que l’homme doit respecter les ordonnances qui lui sont faites.
Ne
trouve t-on pas chez les Touaregs qui, envers et contre tout, conservent leur
culture, le régime matriarcal hérité des origines, la femme donnant son nom à sa
progéniture? Dans le Haut Atlas, à Imilchil au Maroc,
chez les Aït Hdiddou, n’est-ce pas la femme qui choisit (et répudie) encore son époux?
Nul ne trouvera jamais, dans
l’enseignement que le judaïsme a offert au monde, l’injonction de frapper
sa femme telle que nous la lisons dans la sourate IV, 34: «Les hommes ont
autorité sur les femmes, en vertu de la préférence que Dieu leur a accordée sur
elles, et à cause des dépenses qu’ils font pour assurer leur entretien. Les
femmes vertueuses sont pieuses: elles préservent dans le secret ce que Dieu
préserve. Admonestez celles dont vous craignez l’infidélité; reléguez-les dans
des chambres à part et frappez-les. Mais ne leur cherchez plus querelle, si
elles vous obéissent. Dieu est élevé et grand ».
L’héritage
chez le juif, le chrétien et le Berbère est partagé entre tous les enfants, sans
discrimination contrairement à ce qui est indiqué dans le Coran(sourate IV, 11): «Quant à vos enfants,
Dieu vous ordonne d’attribuer au garçon une part égale à celle de deux
filles».
Dans la tradition juive également existe l’injonction divine
d’aimer l’étranger rappelant qu’Israël l’avait été en Egypte. De l’aimer, de le
respecter et de le protéger comme l’un des siens et non de le traiter en citoyen
de seconde catégorie (Exode 22, 21; 23, 9 - Lévitique 19, 34 - Deutéronome 10,
19). L’islam préconise, au contraire, la discrimination entre Musulmans et gens
du Livre, ahl al Kettab, juifs et chrétiens, peuples tolérés, assujettis
à l’impôt de capitation, la djeziya, qui leur permettait de bénéficier
d’une relative protection. Le Coran, sourate V, 51, ne dit-il pas: «O, vous
qui croyez, ne prenez pas pour amis les Juifs et les Chrétiens; ils sont amis
les uns des autres. Celui qui, parmi vous, les prend pour amis, est des
leurs. Dieu ne dirige pas le peuple injuste »
Les recommandations
sont légions et sont enseignées, dès leur plus jeunes âge, aux enfants. Dans les
manuels scolaires saoudiens, chrétiens et juifs sont dénoncés comme infidèles,
mais aussi comme ennemis de l’islam et des musulmans. C’est pourquoi, les
musulmans ne peuvent se lier d’amitié avec eux ni les imiter en aucune façon, de
crainte que cela n’aboutisse à de l’amour et de l’amitié, tous deux
prohibés.
Comment peut-on alors être juif arabe? Comment peut-ont alors
être Amazigh arabe? Comment peut-on alors être chrétien arabe?
Le
musulman tend à confondre l’umma, la communauté, avec l’appartenance
nationale. C’est pourquoi nous voyons des voix se faire parfois entendre
soutenant la thèse, saugrenue, que les Africains musulmans seraient des Arabes
oubliant que ceux-ci furent des esclavagistes féroces.
Dans ces contrées
devenues islamiques par la force du glaive et, pour la plupart erronément
appelées «pays arabes», la présence juive est de loin antérieure à l’arrivée de
l’envahisseur arabo-musulman du septième siècle. Elle remonte aux temps
bibliques.
Nous savons que parler de pays «dits» arabes est «politiquement» incorrect mais, n’en déplaise à
certains, nous insistons sur la distinction. Les seuls pays arabes sont ceux de
la péninsule arabique; les autres sont dits arabes mais seule une minorité
d’arabisés qui, ayant perdu leur culture, pensent descendre des Arabes, des
Turcs et s’imaginent des généalogies fantasques y habite La totalité est
berbère, copte (chrétienne ou islamisée) ou phénicienne…
Ces terres
furent conquises et occupées au septième siècle par les hordes, composées
uniquement d’hommes, venues d’Arabie. Nul n’a
oublié l’épopée légendaire de la Kahena, la reine berbère que l’on prétend
juive, qui s’opposa à l’envahisseur imposant le choix aux populations
autochtones, adeptes ou non du monothéisme: l’islam ou la mort!
Des
siècles durant cela a-t-il changé aujourd’hui ! - la culture locale fut
détruite - par l’oligarchie locale comme moyen de domination sociale - au
détriment de l’arabe importé. Les tribus chrétiennes, formant alors la majorité
de la population et qui avaient offert tant de magnifiques fleurons au
christianisme: Tertullien, saint Augustin, saint Cyprien, saint Fulgence,
n’étaient-ils pas d’Afrique du Nord? sont forcées à abjurer afin d’échapper au
massacre.
Savons-nous qu’il y eut un pape berbère, saint Victor
1er (189-199) et un
empereur romain et non des moindres, Septime Sévère (193-211) !
Ignorons-nous que, lors du premier concile de Carthage, en 200,
soixante-dix évêques d’Afrique proconsulaire (la Tunisie actuelle) y assistaient? L’Italie n’en comptait
alors que trois, l’Espagne quatre et jusque vers 250, un seul en Gaule, celui de
Lyon. De là vient sa prépondérance comme Primat des
Gaules.
Dans les
«Chroniques N’Imazighen», éditons Imazighen N’Brussel’s, Bruxelles, 1999,
l’auteur prenant comme source Henri de la Bastide (« Maghreb e
éditions Horizons de France, 1973), assène qu’au cinquième siècle, l’Eglise d’Afrique du Nord compterait
plus de six mille quatre cents saints et trois cent seize
évêchés !
Et
mentionnons, aussi tous ces tribuns, soldats, écrivains et fonctionnaires qui
participèrent à l’essor et à la grandeur de Rome sans oublier le punique
Hannibal , génial inventeur de 3 principes stratégiques encore enseignés dans
toutes les académies militaires dont la bataille de Cannes contre les Romains
est encore citée en exemple, qui s’opposa à
elle! Le théâtre d’El Djem, en Tunisie, a soixante kilomètres de Sousse,
construit en 238 de notre ère par Gordien Ier, n’est-il pas le troisième en
importance de l’empire après le Colisée et celui, en ruines, de Capoue!
Et que devons-nous dire de Salomon Ibn Gabirol (1020-1057), Aby
Ayy-ub Suleiman ibn Yahya ibn Gabirol, latinisé sous le nom de Avicebron, dont
« La Source de vie », oeuvre néo-platonicienne, a été traduite
en latin à partir d’une traduction arabe. Avicebron passa, des siècles durant,
pour un musulman.
Le
Moyen-Orient, antique berceau du judaïsme et du christianisme, a perdu ses
Juifs, à l’exception d’Israël et se déchristianise. Seule une infime minorité,
moins de cinq pour cent de la population, est encore, aujourd’hui, adepte du
Nazaréen alors que les juifs, une poignée, ne représentent plus que les gardiens
de cimetières en ruines.
Nous analyserons,
dans ce texte qui formera une séquence d’une étude collective à paraître
sur les minorités et les minorisés en islam, la situation des Juifs, nous
contentant d’esquisser, à grands traits, celle des Chrétiens et des Imazighen.